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Article #208 : Bangalore, capitale mondiale de la sous-traitance

Call center, Bangalore

Que cela plaise ou non, la réalité économique mondiale impose à chaque entreprise, peu importe le lieu où elle opère, de chercher à rester compétitive sous peine de devoir mettre la clé sous la porte. La libéralisation du commerce ces dernières années et notamment l’intégration de pays comme l’Inde ou la Chine (qui représentent à eux 2 plus d’un tiers de la population mondiale) à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) a changé la donne pour un nombre important d’entreprises situées dans le monde occidental.

Dans une récente newsletter, je vous avais fait part de mes impressions et inquiétudes sur le développement de la Chine, un pays qui m’avait fortement impressionné notamment du fait de la vitesse de son développement et de la qualité de ses infrastructures. L’une des principales raisons du fort développement de la Chine tient en un mot : “offshoring” (délocalisations). La Chine est aujourd’hui capable de proposer aux entreprises occidentales une production bien moins coûteuse et dans des conditions bien plus avantageuses que ce que l’Europe peut proposer. Ainsi, les délocalisations des usines Françaises, Allemandes ou Américaines vers l’empire du milieu se sont succédé ces dernières années à un rythme effréné. Cela est un phénomène bien connu en Europe et l’objectif de cette brève n’est pas de développer ce point.

L’Inde de son côté profite également largement de son intégration au commerce international. Depuis une quinzaine d’années, ce pays comptant aujourd’hui plus d’un milliard d’habitants (et qui devrait ravir la première place de pays le plus peuplé au monde à la Chine aux alentours de 2030) peut se vanter d’une croissance économique approchant les 10% par an, un chiffre à peine inférieur à celui de son voisin Chinois.

Mais le développement Indien n’a pas grand-chose à voir avec celui de la Chine. Si “l’ offshoring” illustre le développement Chinois, en Inde, c’est “l’outsourcing” (sous-traitance) qui prédomine, un phénomène souvent bien moins connu en Europe mais pourtant tout aussi important.

J’ai passé ces 2 dernières semaines dans 2 des plus grandes villes Indiennes : Bangalore et Chennai (ex-Madras). Ces 2 villes et notamment Bangalore sont en plein cœur de la présente révolution technologique qui s’opère actuellement en Inde. L’objectif numéro 1 de mon tour du monde étant de mieux comprendre le monde qui m’entoure et de mieux apprécier son évolution et ses profonds changements, je me suis rendu dans diverses entreprises et centres d’appel, la tête remplie de questions à poser à mes différents interlocuteurs. Je vous propose ci-dessous un petit résumé de ce que j’y ai découvert.

La sous-traitance est sans aucun doute l’un des phénomènes économiques les plus importants de ce début de siècle. Soucieux de réduire leurs coûts, de nombreuses entreprises Américaines se posent aujourd’hui la question : “Quel est mon cœur de métier ? Quel est mon avantage compétitif ? Quelles sont les tâches que je réalise demandant un réel savoir-faire et quelles sont celles pouvant être faites par d’autres à un prix moins élevé ?”. Dans un monde plus compétitif que jamais, se poser ce genre de questions devient essentiel car c’est la survie de l’entreprise qui en dépend. Réalisant qu’à l’autre bout du monde, l’Inde possède des millions de jeunes plein d’énergie, possédant souvent un excellent niveau d’Anglais, une très bonne connaissance de l’informatique mais surtout étant prêts à travailler à un coût souvent 4 ou 5 fois inférieur à celui des jeunes Américains, un nombre croissant d’entreprises ont fait le pari de découper leur activité en petit morceaux et d’en envoyer une partie dans le sous-continent.

Tout ce qui peut se sous-traiter sera sous-traité” m’assure Mohan, travaillant dans une entreprise Indienne appelée Brickwork India. Cette entreprise est l’interlocuteur de centaines d’entreprises Américaines ayant souhaité envoyer une partie de leur activité à l’autre bout du globe. Les exemples de sous-traitances ne manquent pas. Bien entendu, les plus connus sont les centres d’appel mais la sous-traitance va bien au-delà. Lors de ma visite de l’entreprise, j’ai notamment pu rencontrer des “Remote personal assistant” (assistante personnelle à distance). Ce concept m’a laissé rêveur et semble attirer un nombre croissant de cadres Américains. Imaginez le scénario. Mr Jones, cadre exécutif dans une entreprise quelconque Américaine a beaucoup de travail. Avant de quitter son bureau, il envoie par email le travail à faire (recherches sur internet, création d’une présentation power point…) à son assistante personnelle basée de l’autre côté du globe. Alors que Mr Jones part se coucher, Sunitha, recrutée par Brickwork India commence sa journée de travail. Très sérieuse et motivée à l’idée de travailler avec les Etats-Unis, elle fera toutes les recherches nécessaires et enverra par email le travail terminé que Mr Jones trouvera dans sa boîte au petit matin. Les 24h sont aujourd’hui productives et l’assistante personnelle coûte bien moins cher qu’une assistante Américaine. Mes yeux sont devenus encore plus ronds lorsque cette charmante dame m’expliqua qu’elle travaille aussi 4 heures par jour le soir pour un autre PDG. “Je m’occupe de ses emails, j’ai accès à son ordinateur, je lui facilite son travail. Pendant ces 4 heures, le téléphone ne sonne pas à Boston mais ici à Bangalore. Je réponds donc directement aux clients qui n’ont aucune idée que leur appel est répondu en Inde puisqu’ils appellent aux Etats-Unis. Cela m’amuse toujours quand je réserve la table pour le déjeuner de mon directeur. Je dois réserver dans la zone non-fumeur et près de la fenêtre. Parfois je donne aussi les directions à des clients pour qu’ils ne se perdent pas“…Je lui demande alors “Mais vous êtes déjà allée aux Etats-Unis ?”. “Non, pas besoin, je n’ai jamais rencontré mon directeur mais on se voit parfois par webcam et je trouve toutes les informations nécessaires pour les directions sur internet“…

Ci-dessous, une photo de Sunitha à son poste de travail.

Ci-dessous, une photo de l’accès au desktop à distance. Une fois connectée, l’assistante pourra utiliser l’ordinateur de son patron comme si elle l’avait devant ses yeux. D’importantes clauses de sécurité sont bien entendu signées.

Une assistante personnelle à distance, voilà un concept auquel je n’avais jamais pensé. Mais cela n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Brickwork a dans ses rangs des centaines d’ingénieurs travaillant sur toutes sortes de projets pour toutes sortes d’entreprises situées aux 4 coins du monde mais principalement en Amérique du Nord.

Ci-dessous, une photo de certains de ces ingénieurs…

Bien entendu, quand on pense sous-traitance avec l’Inde, c’est en général le concept de centre d’appel qui vient tout naturellement à l’esprit. Plus personne n’est surpris aujourd’hui aux Etats-Unis lorsque vous souhaitez un soutien pour l’utilisation de votre ordinateur ou téléphone portable et votre interlocuteur ayant changé son nom en “Bill, Jack ou Tom” vous accueille avec un “Hello sir, how may I help you ?” et un léger accent Indien.

Visiter un centre d’appel à Bangalore était un impératif pour moi. Je ne pouvais pas quitter cette région sans m’être rendu dans l’un de ces centres où de nombreux jeunes Indiens commencent leur carrière et gagnent souvent bien plus que ce que leurs parents ont pu gagner.

Manikhandan, manager chez Slash Support, un des “call-center” de bonne réputation de la région, m’explique “De nombreux jeunes Indiens veulent venir débuter leur carrière chez nous. Nous offrons une formation de qualité, une protection sociale, un bon salaire, une possibilité de faire des stages à l’étranger et de nombreux autres avantages. L’autre jour par exemple, nous devions recruter 900 personnes pour Nortel, un de nos clients. Nous avons reçu 138.500 candidatures. Nous avons pu retenir 900 employés de qualité.”

Ci-dessous, une des nombreuses publicités dans la rue cherchant des personnes susceptibles de travailler dans un call center. Slash Support étant un centre d’appel reconnu, ses méthodes de recrutement ne se font généralement pas par affichage.

Lors de ma visite dans ce centre d’appel, je fus très impressionné par les infrastructures et les conditions de travail pour les employés. Malheureusement, il m’était interdit de prendre des photos et je ne peux donc pas vous en montrer.

Les progrès technologiques ont rendu notre monde plus petit que jamais. Les connexions internet sont ici tout aussi (voire plus) rapides qu’en France et les obstacles pour une collaboration efficace entre les entreprises Américaines et Indiennes disparaissent les uns après les autres. Ces jeunes Indiens sont souvent très travailleurs et ne demandent qu’à pouvoir intégrer une entreprise qui leur permettra d’améliorer leur quotidien et de profiter de tous les produits que proposent les magasins qui fleurissent dans les rues de Bangalore, Delhi ou Bombay…

La demande de travail dans le secteur des nouvelles technologies ou dans le secteur du BPO (Business process outsourcing) ne manque donc pas en Inde. “Le problème est que nous n’avons pas suffisamment de jeunes suffisamment éduqués pour répondre à la demande” m’expliquera Mohan. “De nombreux jeunes Indiens sont très doués dans les nouvelles technologies mais ont d’importants progrès à faire en communication” rajoutera t-il. Lors de mon séjour à Chennai, je me suis rendu à “Winspire“, un institut chargé de former de jeunes Indiens à une meilleure communication. L’un des cours proposés ayant particulièrement attiré mon attention fut “l’accent neutralization“. Les Indiens ont beau parler un excellent Anglais, comprendre leur accent est parfois un véritable défi pour un occidental. Se faire comprendre étant chose indispensable, de nombreux Indiens apprennent à mieux prononcer les syllabes, à mieux articuler, à prononcer chaque lettre, etc. en gros, à limiter au maximum leur accent. Dans certains cas, les clients leur demandent même “d’américaniser” leur accent…un challenge parfois de taille.

Ci-dessous, une photo prise durant un cours de neutralisation de l’accent. Durant ce cours, j’ai exposé aux étudiants mon aventure et ai tenté de leur apprendre l’accent Français…pas évident…

Et une autre où les étudiants apprennent l’Informatique.

L’Inde n’a pas les infrastructures de la Chine, a d’importants problèmes d’approvisionnement en énergie et compte toujours une importante pauvreté dont l’éradication prendra de nombreuses années. Cependant, la révolution technologique en cours a d’ores et déjà permis la création d’une importante classe moyenne qui ne cesse de grandir chaque jour. L’Inde pourrait bien devenir la troisième puissance mondiale à l’horizon 2040 si les tendances actuelles devaient se poursuivre. Les nombreux investissements étrangers et notamment Américains ont apporté un important souffle d’espoir pour de nombreux jeunes en quête d’opportunités de travail. L’une des manifestations de ce souffle d’espoir s’appelle B2B, non pas le “business to business” mais le “back to Bangalore“. Le développement Indien fait aujourd’hui réfléchir un grand nombre d’exilés qui sont nombreux à vouloir revenir sur leur terre d’origine. “L’Inde possède une culture unique et les exilés prennent de plus en plus conscience qu’il est dorénavant possible d’obtenir de bonnes conditions de travail et de retrouver leurs sources” m’expliquera Mady mon hôte dans la ville de Chennai. Le rêve Américain ? Existe t-il toujours pour les Indiens ? “Ne brûlons pas les étapes. Tout le monde est bien conscient que les universités Américaines sont toujours bien meilleures que les universités Indiennes et les salaires des 2 pays ne sont pas comparables. Les Indiens regardent toujours les Etats-Unis comme une source d’inspiration pour de nombreuses choses. Cependant, ce rêve Américain est bien moins important qu’il ne l’a été et de nombreux jeunes souhaitent aujourd’hui simplement se rendre là-bas pour étudier, voire y habiter quelques années mais guère plus, l’Inde a un potentiel de progression extraordinaire” rajoutera t-il…

L’Inde, potentiel extraordinaire, c’est tout ce qu’on peut leur souhaiter. Du côté Américain, comme du côté Européen, ce développement et cet “outsourcing” peut devenir une véritable opportunité mais aussi une menace si les réformes nécessaires ne sont pas entreprises. Pour en savoir davantage sur ce sujet, je vous conseille fortement le livre de l’excellent Thomas Friedman, journaliste au New York Times “The world is flat“.

A bientôt

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