Beausoleil, 9 novembre 2014, 6h00. Le réveil sonne. J’ai mal dormi. Notre fille, Ana-Laura, 2 ans, n’a pas trouvé meilleur moment pour piquer une crise à 2 reprises pendant la nuit demandant « popote » (comprendre : compote) et « Chita » (comprendre : Lechita, donc lait). Mais malgré cela, je ne me sens pas fatigué. Je suis même en pleine forme, en mode « guerrier ». Le genre de sensation que l’on ressent lorsqu’une journée importante débute. Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec l’histoire… Avec mon histoire personnelle.
Il y a quelques temps, je m’étais amusé à me faire ma « Bucket list », cette fameuse liste des choses que l’on veut avoir fait avant de mourir (nom donné suite au film du même nom avec Morgan Freeman et Jack Nicholson). Dans celle-ci, j’avais noté « Faire au moins un marathon dans ma vie ». Un défi auquel j’avais pensé un jour de 2003 alors que j’assistais à un semi-marathon à Marrakech avec des amis. J’aime les challenges, ils me permettent de me surpasser, d’aller au-delà de mes limites, de me rendre meilleur… et leurs réalisations me comblent de bonheur.
Après plus de 6 mois de préparation m’ayant notamment permis de participer à 6 semi-marathons, me voilà enfin prêt à relever ce joli challenge personnel.
Slip, chaussettes, T-shirt : le choix de chaque vêtement est stratégique ce matin, il serait mal venu d’être embêté pendant la course par un malheureux sous-vêtement.
Autre préparation : la musique. Celle-ci m’aide généralement beaucoup à tenir le coup et c’est donc très sérieusement que j’ai choisi les morceaux qui m’accompagneront tout au long de ces 42.195kms à courir. Ceux-ci iront de la bande originale de Rocky Balboa (si, si, « eye of the tiger » pour commencer et « No easy way out » pour terminer) à ma musique latine préférée en passant par quelques chansons dont les paroles m’inspirent particulièrement (« J’irai au bout de mes rêves » et « Né en 17 à Leidenstadt » de Jean-Jacques Goldman, « L’envie » de Johnny Halliday) ou des musiques Indonésienne, Mongole ou Thaïlandaise me remémorant des moments et paysages de mon tour du monde pour un peu d’évasion.
08h00. Accompagné de Jérémie, ami et collègue TWAM, nous sommes sur la ligne de départ aux côtés de 14.000 autres personnes au niveau du drapeau « 4h30 et plus », autrement dit, nous faisons partie de ceux qui pensent terminer derrière. Notre objectif n’est pas de réaliser une performance mais d’arriver vivant au bout.
Soudain, le départ est donné. Une foule immense envahit, en courant, la promenade des anglais Niçoise. Destination Cannes en passant notamment par Cagnes sur mer, Antibes, Juan les pins et Vallauris, avec 95% au bord de mer. Ce marathon est le deuxième plus important en France après celui de Paris. Au bord des routes, régulièrement, musique, éponges et ravitaillements seront offert.
C’est beau un monde qui court. Quel bonheur de voir tant de gens d’origines et de milieux sociaux divers se mélanger et se retrouver ici. Ayant travaillé pendant près de 5 ans pour Peace and Sport à Monaco, j’ai pu constater à quel point le sport pouvait rassembler, aider par exemple au rapprochement Hutus-Tutsis dans la région des grands lacs d’Afrique, à la réintégration de membres de gangs en Amérique Latine ou d’enfants soldats. Mais même sans aller si loin, autour de chez nous, la cohésion sociale que permet le sport est magnifique.
J’arrive à la borne des 10kms sans le moindre souci. Mon rythme est bon, ma fatigue inexistante. Mes mois de préparation payent aujourd’hui. Il y a quelques temps encore, faire un 10kms était un calvaire pour moi avec mes 188 centimètres et mon dixième de tonne (plus que 93Kgs maintenant après la préparation). Aujourd’hui, rien de cela. Je prends plaisir, regarde la mer tout en écoutant ma musique, la belle vie !
Dès le kilomètre 14, les choses commencent à se gâter cependant. Une tendinite à la patte d’oie du genou, qui m’avait obligé à mettre de côté l’entraînement lors des 3 dernières semaines et à me faire infiltrer, commence à se réveiller. Une douleur incommodante mais qui ne m’empêche cependant pas d’avancer.
Les kilomètres défilent. Au Km 21,1, je passe le cap du semi-marathon avec un nouveau record personnel à la clé : 2h07. Peu après, la pluie commence à s’inviter dans la partie, elle sera de plus en plus forte durant tout le reste de la course. Le gagnant de la course, Ethiopien, lui arrive déjà après 2h09 de course… Un autre monde !
Km 28 : Les jambes deviennent vraiment lourdes à présent. Je rentre à présent en territoire inconnu. Jamais auparavant n’ai-je couru plus que cette distance. Petit à petit, le plaisir de la course se transforme en souffrance. Je n’apprécie plus les paysages autour de moi et reste concentré sous ma casquette qui me protège des trombes d’eau. Un pas après l’autre…
Ma grosse erreur stratégique interviendra au km 30. A la sortie du cap d’Antibes, j’aperçois devant moi un coureur en train de s’étirer. Me vient alors l’idée de l’imiter avec l’espoir de rendre mes jambes moins lourdes. Mais mal m’en prend. Ma tendinite jusqu’alors douloureuse mais supportable devient d’un coup insupportable. Pendant quelques longues secondes, je ne peux plus mettre le pied à terre. Je boîte et tombe presque. Progressivement, j’essaie de marcher puis de recourir mais la douleur est à présent très importante.
Les 12 kms restants sont sans nul doute à inscrire parmi les moments les plus difficiles de ma vie. Avant de partir, ma maman m’avait demandé de lui promettre d’abandonner si j’avais trop mal pour ne pas avoir de conséquences après. Sans doute avait-elle raison. Mais comment abandonner lorsqu’on est si près de la ligne d’arrivée d’un projet que l’on prépare depuis des mois ? Peut-être devrais-je être raisonnable, mais je n’y songe pas, je serre les dents et continue. Une tendinite est une inflammation, je ne pense pas qu’il y aura des conséquences fâcheuses. Je ne peux envisager l’abandon…
Km 34, 35, 36… Tant bien que mal, j’alterne entre courtes marches et course. Mes pas sont de plus en plus minuscules. Dans mes oreilles, la musique continue de me soutenir, entrecoupée toutes les 5 minutes par des notifications de mon application « Run Keeper » m’informant de la distance parcourue et de ma moyenne de vitesse qui ne cesse de descendre. Je traîne ma jambe droite comme je peux en insistant sur la gauche. Chaque pas est un effort, je compte chaque mètre parcouru, chaque dos d’âne semble être une montagne. C’est le mental qui me traîne à présent…
Au bord de la route, une dame me dit « allez, courage, vous êtes au Km 37, plus que 5 petits kilomètres ». Croyant n’être qu’au Km 36, je suis ravi d’entendre cela et me dis que j’ai dû rater le panneau. Quelques minutes plus tard, je vois avec détresse le panneau « 37 » et non « 38 ». Cette dame m’a donné un faux espoir. Je me promets que la prochaine fois que je verrai des marathoniens en fin de course, je leur donnerai leur position exacte, pas celle à venir. Dans ces moments, ces détails ont de l’importance !
Le soutien des gens au bord de la course est cependant d’une grande aide et je ne remercierai jamais assez ceux qui ont eu le courage de braver la pluie pour adresser leurs encouragements aux coureurs.
Km 39. Je passe le panneau indiquant l’entrée de la ville de Cannes avec les larmes aux yeux. Douleur et émotion d’arriver au bout…
Km 42,195. Ca y est, je passe la ligne d’arrivée devant le palais des festivals sur la Croisette. J’ai couru 5h08. Les larmes aux yeux, j’exulte ! Lisant toute ma souffrance sur mon visage, l’animateur au micro me félicite pour mon arrivée tout en disant qu’il pense que je ne retoucherai pas à des chaussures de running pendant quelques semaines… Cela est en effet bien possible…
Je suis extenué, trempé… mais ravi. Mon objectif est atteint ! Marisol, Ana-Laura et Jérémie, arrivé une heure avant moi, sont là pour me soutenir car je ne suis pas loin de m’écrouler. J’embrasse la dame qui me remet ma médaille et mon sac du « Finisher ».
C’était mon premier marathon, sans doute également mon dernier. Malgré la souffrance endurée, quel sentiment extraordinaire ensuite de se dire qu’on est allé au bout de ses forces, au-delà de ses limites et qu’on a réalisé un rêve et défi qui nous tenait à cœur.
Prochain défi sportif : Strasbourg-Marseille en vélo en 2015. Pour le moment, c’est repos !
Oh qu’elle est belle cette photo de toi en train de souffrir pour avancer ! J’ai essayé à plusieurs reprises de faire un marathon mais pour l’instant mon corps a refusé, enfin surtout mon genoux. Depuis quelques semaines, je sens que ma douleur m’a abandonné. Je compte bien rayer ce défi de ma bucket list.
En tout cas, bravo !
Oh que oui, j’ai souffert. Bon courage à toi si tu te lances dans cette belle aventure. J’avais perso fait 6 semi-marathons de préparation. J’ai beaucoup aimé.