Peuples Rencontres

Séjour en communauté Ngöbe-Bugle, Panama

Le présent article vise à décrire mon séjour de 5 jours dans la Comarque Ngöbe-Bugle (Comarca en espagnol – Province indigène avec un niveau d’autonomie plus important que les autres province)  au mois d’avril 2017.

Le Panama compte 7 peuples indigènes représentant 8.3% de la population panaméenne, soit environ 250.000 personnes.

Les Ngöbe sont l’une des 3 ethnies indigènes principales du pays avec les Kunas (vivant principalement dans les îles San Blas, voir mon article ici y décrivant mon expérience) et les Emberas (vivant principalement dans la province du Darien, voir mon article ici y décrivant l’une de mes expériences). Ci-dessous la carte montrant les principales communautés indigènes du Panama.

Ce périple m’a permis de me rendre dans les communes (ou communautés de communes) suivantes : Soloy, Cerro Teta, Sitio Prado, Llano Tugri, Chichica et Tole.  Voir ci-dessous la carte de mon parcours.

Mais que vas-tu bien faire par là-bas ?” me demande une tante de Marisol, mon épouse panaméenne. “Il n’y a rien à voir” estime-t-elle.

Ces dernières années, j’ai eu l’occasion de partager le quotidien d’un certain nombre de ces peuples : aborigènes en Australie, Crees (cousins des inuits) dans le nord du Canada, Saraguros en Equateur, Kogis en Colombie, Baduis en Indonésie ou encore les Hmongs au Laos. Pour le Panama, j’ai pu partager à plusieurs reprises le quotidien du peuple Embera dans la province du Darien et du peuple Kuna dans les îles San Blas.

Qu’y-a-t-il à faire dans ce genre de communautés ? Rencontrer des gens, découvrir d’autres façons de vivre, de penser, de se nourrir, de voir la vie, la terre, l’humanité. Une perspective qui m’enchante…Ceux qui me suivent depuis un moment le savent : j’ai une affection toute particulière pour les peuples indigènes, leur mode de vie me fascine. Dans un monde globalisé, chaque jour plus uniformisé, ils nous rappellent d’où nous venons et le lien qui nous unit à la nature et à la terre. Ils respectent souvent l’environnement bien plus que nous ne le faisons nous (bien qu’il y ait des exceptions).

Mon périple commence dans la ville de David dans la province du Chiriqui, à l’ouest du pays où je laisse mes enfants Ana-laura et Sebastian avec mon épouse et sa famille. Direction la station de bus pour me rendre dans la petite ville de Soloy où réside Juan-Carlos, un jeune Ngöbe au tempérament entrepreneur souhaitant développer le tourisme durable dans sa communauté. Une façon selon lui d’aider à la préservation de sa culture et à faire rentrer quelques sous bénéficiant à la communauté. J’ai trouvé son contact sur le net. Sa démarche m’intéresse. Ce sera un bon point de départ pour découvrir le monde Ngöbe et éventuellement un bon contact dans le cadre du développement des actions de Travel With A Mission (TWAM) cherchant notamment à favoriser la compréhension entre les peuples.

  • Holà, tu es Ludovic je présume ?” Habillé en pantalon et T-shirt, comme tous les hommes de la communauté (à l’inverse des femmes toutes habillées en robes traditionnelles), Juan Carlos m’accueille sur la place du village avec un grand sourire. Bien que l’électricité ne soit arrivée à Soloy qu’il n’y a 4 mois, Juan Carlos est un habitué des réseaux sociaux qu’il utilise généralement via son smartphone, un mode de communication révolutionnaire dans les communautés indigènes jadis isolées.

A première vue, Soloy donne l’impression d’être un petit village où tout le monde semble se connaître.  La vie y semble paisible, tournant au ralenti. On y croise des femmes transportant leur progéniture (le taux de fécondité est plus important que la moyenne dans les communautés indigènes), des hommes revenant du champ et des enfants en tenue d’écolier revenant de l’école. La seule attraction du centre ville est le départ du bus pour rejoindre David partant une fois toutes les 2h.

Juan Carlos me propose de dormir dans une famille locale sur un matelas improvisé à même le sol. Sonia, la maîtresse de maison, gère une petite épicerie où l’on vient acheter en petite quantité du Cola d’une marque inconnue ou quelques produits d’entretien type savon ou shampoing, vendus en petits sachets pour utilisation unique, comme ce qui se fait souvent dans les pays en voie de développement. Son mari travaillant dans le transport de marchandises à travers l’Amérique Centrale, elle ne le voit presque jamais et élève ses 5 enfants seule. Une femme courageuse !

Je ne suis pas venu ici pour le confort mais pour rencontrer des gens d’autres communautés et pour explorer la mise en place d’un projet de TWAM Trip avec Travel With A Mission sur la thématique des peuples indigènes (plus de détails ici). Juan Carlos m’explique son projet avec passion et je comprends instantanément que nous allons collaborer. J’aime rencontrer des jeunes de son espèce voulant tirer sa communauté vers le haut et refusant de s’apitoyer sur son sort. NB : La comarque Ngöbe-Bugle est la province la plus pauvre du Panama. La réputation des peuples indigènes n’est généralement pas bonne auprès du reste de la population panaméenne car souvent assimilée à celle d’assistés, de violents (violence domestique généralement importante) et d’alcooliques (réputation assez généralisée à travers l’Amérique latine pour les peuples indigènes).

La communauté Ngöbe-Bugle a beaucoup à offrir à l’instar d’autres peuples indigènes. Sans pour autant transformer la communauté en “zoo humain” comme cela se fait parfois par ailleurs, il est possible de mettre en lumière, et ainsi favoriser la pérennité, d’éléments de la culture comme son histoire, ses danses, son folklore, ses créations artistiques, son rapport avec la nature, etc. Autant d’éléments pouvant intéresser des voyageurs étrangers en quête d’exotisme et de rencontres “authentiques”.

Entre 2 échoppes, je rencontre par hasard des professeurs d’écoles revenant du week-end de Pâques passé auprès de leurs familles. Au Panama, les professeurs agissant dans les communautés reculées viennent généralement des grandes villes. Ils logent sur place la semaine et reviennent parfois le week-end. Ces professeurs me disent enseigner dans la communauté d’Alto Bonito, à 1h30 de marche de Soloy, dans une communauté éloignée, n’ayant ni accès à l’eau, ni à l’électricité. Surpris de voir un occidental à Soloy, nous commençons à discuter. Je leur parle de mes interventions dans les écoles (lors desquelles je parle de mon tour du monde en stop et de tout ce que j’ai appris en voyageant, le tout avec quelques petites chansons, petits jeux et apprentissage du français). Je leur propose de venir dans leur école, ils acceptent avec grand plaisir. “Pas tous les jours qu’un étranger vient nous rendre visite” me dit l’un d’entre eux, Aralis, en souriant…

Après 1h30 de marche, j’arrive dans l’école, seul bâtiment en dur de la communauté. Selon les classes, on y apprend à lire ou à compter comme toutes les écoles du monde, puis on me propose une première classe à animer, puis une deuxième, puis une troisième et quatrième. Résultat : J’y passe toute la matinée. On m’offre en retour des chansons et danses panaméennes qui me font toujours chaud au cœur.

Marche en direction de la communauté d’Alto Bonito
Accompagné de mon ordinateur sous la chaleur Panaméenne

Je profite de mon passage dans cette communauté reculée pour rendre visite aux habitants, souvent très surpris de voir un étranger débarquer dans leurs petites cabanes en bois. J’y vais en me présentant, en disant simplement que je souhaite mieux connaître leur culture. Cette approche avec un sourire est généralement la bienvenue. On me propose souvent des cafés au lait préparés dans de grandes marmites et des xxx frits dans une autre marmite. On discute de tout : de la vie, des différences France-Panama, des habitudes culinaires, etc. Je parle en Espagnol, une langue que la plupart des jeunes parle plus ou moins bien. Les anciens ont plus de mal. Quelques photos qui parleront mieux que de longs discours ci-dessous :

J’accepte avec plaisir le café au lait qui m’est offert
La mère et sa fille
Cette famille comptait de nombreux enfants dormant les uns à côté des autres à même le sol. On me propose ici une banane plantain.

 

Préparation du café au lait
Autre maison, autre famille, même hospitalité
Je ne bois généralement jamais de café mais je ne pouvais refuser
Une partie de la famille
Autre famille. Famille nombreuse surprise de ma présence.
2 petites filles devant une maison
Autre famille avec qui j’ai discuté un moment.
Une communauté entre Soloy et Alto Bonito
Même communauté
Même communauté

 

Autre communauté

 

En panoramique
Petite fille Ngöbe en train de moudre des grains.
La même vue de derrière
Autre famille rencontrée

Dans l’une de ces habitations, nous parlons de la langue Ngöbe que parlent la plupart des gens par ici, surtout les plus anciens. Celle-ci est utilisée à l’oral, quasiment jamais à l’écrit (elle n’a été adaptée à l’écrit que récemment). Je demande à voir à quoi celle-ci ressemble. Sans surprise, les Ngöbe ne lisant que très peu (pour ceux qui savent lire), il est difficile de trouver un livre ou magazine dans la cabane écrit dans cette langue. Sans surprise également, le premier, et unique, magazine qui me sera présenté dans cette langue sera un petit guide évangéliste. J’avais eu exactement la même expérience chez le peuple Embera dans le Darien, de l’autre côté du pays. J’ai pris une photo d’une page de ce petit guide.

Petit guide évangéliste écrit en langue Ngöbe

 

Je quitte Soloy et mes nouveaux amis satisfait. J’ai pu rencontrer des gens authentiques, très sympathiques, qui m’ont confirmé ce que j’ai toujours ressenti pendant mon tour du monde : Quand l’attitude est bonne, quand on s’ouvre à l’échange avec les oreilles grandes ouvertes, l’accueil est généralement bon. Bien sûr, il y a parfois cette petite méfiance vis-à-vis de l’occidental qui a fait tant de mal aux indigènes par le passé mais cela ne semble pas rentrer en ligne de compte quand on vient avec le sourire et une volonté de dialogue.

Quelques photos de scènes de vie dans la petite ville de Soloy :

Petit commerce indiquant les départs des navettes pour le “Cruce”, c’est à dire l’endroit où la route de Soloy rejoint la route Panaméricaine.
Dame Ngöbe enceinte regardant des jeunes se baigner dans une rivière sous le pont
Petite chicha rafraichissante, la boisson traditionnelle vendue un peu partout

Souhaitant découvrir d’autres communautés Ngöbe, je reprends la route, objectif : me rendre dans la commune de Llano Tugri, la capitale de la Comarque Ngöbe-Bugle. Je sais que cette “capitale de province” fut choisie pour sa position à peu près centrale mais c’est à peu près tout ce que je sais sur cette commune. A l’inverse de Soloy, je n’ai là-bas aucun contact, j’y vais donc complètement à l’aveugle. Nous verrons bien ce que j’y trouverai…

Avant cela, je suis mis en contact via un membre de ma belle-famille Panaméenne avec une personne supervisant 12 écoles dans la Comarque. J’appelle ce contact et, coup de chance, celle-ci compte se rendre dans 3 d’entre elles dans la journée. Me voilà donc embarqué pendant une journée entière d’une école à l’autre pour faire des présentations pendant qu’elle y fait ce qu’elle doit faire. Quelques photos de ces interventions ci-dessous.

La zone du centre du Panama est très montagneuse. Quelques photos ci-dessous des quelques-uns des paysages offerts :

Le Cero Teta, baptisé ainsi car elles ressemblent à une poitrine.

J’arrive à Llano Tugri en début de soirée après un long trajet dans les montagnes. Etant donné le fait qu’il s’agit de la capitale de la province, j’imaginais arriver dans une vraie ville. Erreur ! Llano Tugri ne dispose en effet que de 3 bâtiments officiels en dur : La “casa comunal” (l’équivalent de la mairie), la “Mida” (Ministerio de desarollo agropecuario) et l’école. Il n’y a même pas de centre de santé. Le reste ? Des maisonnettes ici et là, parfois en bois, parfois en ciment, toutes construites dans le cadre du plan national “Techo de esperanza” où les familles en faisant la demande se voient quasiment offertes des petites maisons, toutes identiques, plus confortables que les cabanes en bois.

croquis du village

Rapidement, mon souci de logement est réglé. Au courant de mes interventions dans les écoles de la province, un professeur vivant à l’arrière de l’école m’accueille pour la nuit dans une petite chambre de quelques mètres carrés. “J’habite ici depuis 2 ans. Je vis une vie simple. J’écoute mes informations à la radio le matin, fais mes cours puis reviens ici. Je sors peu, il n’y a pas grand chose à faire de toutes façons” se confie-t-il.

 

Pour le dîner, je m’installe dans l’unique petit restaurant du village qui compte 3 tables en bois avec des bancs où je rencontre le directeur du fameux Mida, l’un des 3 bâtiments officiels. Il m’explique que cette ville n’est en fait qu’un village ne comptant pas plus de 200 âmes. Qu’il y a encore 5 ans, venir jusqu’ici était une véritable expédition car il n’y avait ni route goudronnée ni électricité. La nouvelle route change progressivement le visage de cette “capitale” choisie pour son positionnement assez central. “Dans quelques années, la capitale aura davantage l’apparence d’une ville” me dit-il.

Le directeur du Mida

La Comarque n’existe que depuis une vingtaine d’années suite aux demandes répétées des Ngöbe d’avoir davantage d’autonomie. Ils en ont cependant moins que le peuple Kuna habitant dans les îles San Blas sur la Côte Atlantique du pays. Pour les Kunas, la constitution indigène est au-dessus de la loi Panaméenne. C’est l’inverse pour la Comarque Ngöbe-Bugle.

On m’explique également que la fête la plus populaire par ici s’appelle la Valseria, un rassemblement des villageois sur une grande place où chaque année, des hommes se jettent de gros troncs d’arbres. Le gagnant se voit offrir le droit de disposer d’une femme, parfois très jeune. Cette tradition pique ma curiosité. Comment peut-on mettre une femme, aussi jeune soit-elle, en trophée d’une compétition violente, n’ont-ils rien de mieux à faire ? Je cherche à en savoir un peu plus sur cette tradition et me rends le lendemain sur cette fameuse place. Des habitants m’expliquent le principe et me montrent comment jeter un tronc pour casser les chevilles de l’adversaire. On m’explique que lors de l’événement, le rhum crée localement coule à flot et que l’ambiance est superbe. Peut-être un jour reviendrai-je pour voir à quoi cela ressemble…

 

Voici comment on jette le tronc. A l’arrière, la place de la Valseria
Petit batiment à Llano Tugri

 

Je suis également surpris par le mode de communication entre voisins. Pour s’appeler les uns les autres ou faire passer des messages au voisinage, on utilise un gros coquillage et on souffle fort dedans. Une façon de faire surprenante qui attire ma curiosité.

Appel au voisinage en utilisant un coquillage

Mon séjour dans la communauté Ngöbe-Bugle se termine après ces quelques jours de visite qui furent fort passionnants. Nul doute que j’y reviendrai un jour pour mieux connaître leur culture. Je reviens par des routes en pleine construction à l’arrière d’un pick-up en passant par la ville de Tolé.

Route du retour
Dans le pick-up

Dans la ville de Tolé

 

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